lundi 21 mars 2011

Réflexions sur le ( sujet ) en Droit


Hobbes, Locke et Rousseau, font de chaque homme un sujet de droit en ce qu’il jouit de droits naturels, inhérents à son statut d’individu né humain, en lequel se manifestent des besoins, des désires, des aspirations dont il peut légitimement chercher la satisfaction. Mais les conditions de conciliation de ce droit naturel avec les exigences de la paix civile font l’objet d’analyses divergentes et divergent alors les appréciations de la manière dont, en tout individu, le sujet de droit devra être respecté dans et par la cité lorsqu’elle le considérera à la fois comme sujet de droits dont elle a pour fonction de garantir le respect, et comme assujetti au droit qu’elle a le pouvoir et la mission d’édicter.

Selon Hobbes, l’homme est par nature, le vivant en qui renaissent, de manière indéfinie, des besoins et des désires, sur le fond de la crainte que lui inspire la conscience qu’il a du temps et de sa propre précarité. Mais à l’état de nature, il n’est rien qui puisse venir imposer des limites à sa recherche de ce qu’il pense pouvoir lui apporter satisfaction et sécurité. Dans une telle situation, chacun a droit à user de toute sa puissance pour obtenir ce qu’il veut et éliminer ce qui le menace ou lui fait obstacle. La vie humaine est alors mésirable, déchirée entre le désir de vivre en sécurité et la nécessité de mener un combat sans trêve ni merci. L’aspiration de vivre autrement qu’en condition naturelle conduit à l’instauration de la cité et par là, la renonciation de chacun à un statut de droit naturel à user à sa guise de toute puissance pour atteindre ses désires. Nul ne conserve, parmi ceux qui deviennent, politiquement, des sujets, la moindre prétention à avoir droit à quoi que ce soit, car la contestation des limites de ce domaine réservé ferait renaitre la guerre et reparaitre une condition de droit naturel. Le souverain demeure hors pacte, dans la plénitude de son droit naturel, c'est-à-dire à l’usage de toute sa puissance, accrue de la possibilité où il est de mobiliser la force de ses sujets, pour en faire l’instrument de sa volonté. Il a la puissance de contraindre quiconque enfreindrait les règles qui assurent l’harmonisation des comportements de ses sujets et qui définissent le juste et l’injuste, le miens et le tiens, le permis et le défendu. Or, par delà les paroles artificieuses du pacte générateur de la souveraineté, Hobbes considère que les sujets sont purement et simplement pris dans des « rapports de force » qui conduisent à leur soumission à la puissance effective dont dispose le prince.

Dans la distinction qu’il fait entre vaincre et subjuguer, Hobbes dit : « le moment où un homme devient le sujet d’un conquérant est le moment où, ayant la liberté de se soumettre à lui, il donne son consentement, d’une manière ou d’une autre, au fait d’être son sujet (…) la conquête, ce n’est pas la victoire en elle-même, mais l’acquisition, grâce à la victoire, d’un droit sur la personne des hommes. Celui qui est tué est vaincu, mais non conquis. Celui qui est pris et emprisonné n’est pas conquis, bien qu’il soit vaincu. Il demeure, en effet, un ennemi et a droit à assurer comme il le peut son propre salut. Mais celui qui, sur la promesse d’obéir, se voit accordées vie et liberté, celui là est alors conquis et devient sujet ».

C’est dans l’intervalle entre le rapport brut de puissance, et l’engagement d’une volonté libre (à la limité réduite à opter entre la vie et la mort) que réside l’ancrage du sujet de droit demeurant derrière le sujet soumis au souverain.

Mais malgré les apparences, la renonciation à l’usage des moyens dont le droit naturel légitime l’usage demeure subordonnée à la conservation d’un noyau de droits fondamentaux, inaliénables, par delà l’étendue de l’empire que le détenteur de l’autorité politique peut exercer sur ses sujet. Subsiste donc un foyer de « droits de l’homme », pour la préservation duquel les hommes ont librement renoncé à l’usage de leur puissance, et qui se réduit à ce dont la mise en question supprimerait la raison d’être de l’obéissance civile, et restituerait une situation de droit naturel.

Pour John Locke le sujet des droits naturels ne saurait être assujetti au pouvoir absolu d’un prince détenteur unique d’une souveraineté telle que décrite par Hobbes. La monarchie absolue, dira Locke, loin d’être la forme la plus adéquate de gouvernement, « exclut en réalité la société civile » et ne saurait constituer à aucun titre une forme de gouvernement civil ». Le détenteur d’un pouvoir absolu est au dessus des lois dont il est l’unique source, et il n’y a aucun recours contres ses actes ou décisions. Or c’est précisément l’existence d’un recours contre toute décision ou action susceptibles d’empiéter sur ce qui est perçu comme droit par les particuliers qui marque l’établissement du corps politique.

La renonciation des hommes aux prérogatives de l’état de nature se limite à ce qui est requis pour qu’un arbitrage supérieur aux volontés individuelles empêche les différends entre particuliers de générer la violence. L’état civil nait donc d’une renonciation des individus à l’exercice du droit originaire à exécuter la loi naturelle, à préserver les droits que chacun détient par nature. Cette renonciation se présente comme un transfert du pouvoir de sanctionner les manquements à la loi. Ils donnent alors mandat à l’autorité civile pour assumer cette charge, en lui reconnaissant la possibilité de requérir leur propre force dans le cadre d’une action publique.

Les sujets ne sont donc assujettis au pouvoir politique que pour autant que la puissance publique s’exerce dans le cadre institutionnel établi par une volonté communautaire s’imposant au prince lui-même, et pour autant donc, que le pouvoir de la cité sur ses membres a pour finalité de protéger les individus en tant que sujets « supports » de ces droits naturels.

Il y a une mesure du pouvoir qu’un homme peut remettre au corps politique et aux instances qui en assurent la conservation de la vie. La loi de nature apparait comme une limite au droit que les hommes ont de renoncer aux prérogatives dont Ils sont supports au point de ne pouvoir vouloir renoncer à eux au-delà de ce qui est requis pour l’institution des règles communes pour les faire respecter. L’institution civile a pour finalité de consacrer les droits que les personnes tiennent de leur humanité, et donc de fonder l’assujettissement des sujets politiques sur leur reconnaissance comme sujets de droit.

Telle est la raison pour laquelle les hommes ne sauraient s’asservir à la volonté arbitraire d’un souverain qui serait seul juge des recours que les sujets pourraient exercer contre la situation qui leur est faite dans la cité. Ils doivent trouver dans la loi la garantie d’une reconnaissance de leurs droits.

Pour Rousseau, tout individu est à la fois citoyen participant à l’exercice de la souveraineté à égalité avec tous les autres, et sujet, devant alors entière obéissance à la loi issue des délibérations publiques. Pour qu’il en soit ainsi, il est nécessaire et suffisant que soit remplie une double condition : chacun doit pouvoir concourir de manière égale à celle de chacun des autres à l’élaboration de la loi et chacun doit pouvoir songer à lui-même comme à celui qui sera assujetti au respect de ces dispositions.

Il en résulte que tout individu doit pouvoir légiférer sur lui-même considéré en son intégralité. Il ne peut donc être légiféré par une partie du peuple (même très majoritaire) pour assurer cette autonomie (la liberté comme obéissance à la loi que l’on se prescrit soi même) qui soustrait les citoyens à toute dépendance à l’égard d’une volonté étrangère.

Ce recouvrement de la volonté individuelle de chacun des membres du corps politique et de la volonté générale, principe de la loi, présuppose en plus d’une double universalité des conditions de délibération légitime (tous se prononce sur une disposition a laquelle tous serons soumis), la nécessité de maintenir l’immédiateté du rapport entre le citoyen et la loi. C'est-à-dire sans recours à la représentation.

De ces présupposés, Rousseau tire des conséquences extrêmes ; le caractère infaillible de la volonté générale qui le conduit beaucoup plus loin que Hobbes sur le chemin de la restriction du noyau inaliénable de droits appartenant par nature à tout homme.

La vie dans la communauté politique n’est plus qu’un don conditionnel de l’Etat, qui peut contraindre quiconque refusera d’obéir à la volonté générale : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera à être libre car il n’est contraint, en effet, en tant que particulier, qu’a ce qu’il veut de par le fait qu’il est membre du souverain, donc habité, en son intimité, par des exigences d’universalité propres à la loi. Ainsi, le sujet est il, jusqu’au consentement à son propre châtiment, obligé de se soumettre à la loi. L’homme apparait donc, ici, dépouillé de tout autre droit que ceux qui sont reconnus au sujet par le citoyen.

L’individu-citoyen ne conserve, idéalement, par devers lui aucun droit auquel il pourrait faire référence pour contester la légitimité de la légalité, telle que déterminée par la volonté générale.

Reste cependant l’essentiel affirmé par Rousseau dans le contrat social : Nul ne peut renoncer à sa liberté sans renoncer à sa qualité d’homme, et c’est là ce qui rend nuls et non avenus tous les engagements à travers lesquels on promet d’obéir, de se soumettre, de s’assujettir.

Si la loi libère, c’est parce que source impersonnelle d’une obligation qui ne prend en considération personne en particulier, née de tous et s’appliquant à tous. Les sujets du contrat social s’unissent en un même corps politique, sur la base d’une mise en commun de leurs personnes, de leurs biens et de leur puissance, dans une relation de participation au sein de ce « nous » librement constitué.

Le véritable sujet de droit a pour droit fondamental, unique et inaliénable de n’être légitimement soumis qu’à un pouvoir dont le jeu est réglé par une volonté s’exprimant dans des conditions telles qu’il puisse y voir l’expression de sa propre volonté (au moins au titre du consentement à la détermination majoritaire de la volonté commune). C’est donc de l’organisation des pouvoirs que dérive la garantie des droits que chacun tient de sa qualité d’homme, et qu’il peut faire valoir comme citoyen.

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